Le pouvoir presqu’infaillible de l’esprit

Par Beatrix Potter

Sera traité dans cet article : le réalisme vs l’optimisme, le fatiguant slogan de la pandémie « Ça va bien aller », le sens de la vie et l’humilité

« Ça va bien aller »… Notre slogan national depuis le début de la pandémie au Québec. « Ça va bien aller », message laconiquement véhiculé pour masquer toutes les souffrances du quotidien vécues lors du confinement par ceux qui l’ont moins facile : une femme violentée par son mari, des parents en manque de ressources pour prendre soin de leurs enfants en situation d’handicap ou avec des besoins particuliers, des personnes seules aux prises avec un problème de santé mentale, les endeuillés ayant perdu un proche en raison de la Covid-19… « Ça va bien aller »? Non, réalistement, ça NE VA PAS bien aller pour ceux qui l’ont moins facile!

Ma psy m’encourage à utiliser la prémisse « même si … (ce qui ne va pas bien) je vais … (ce sur quoi je vais agir pour que ça aille mieux). Donc si je me prête à l’exercice : « Même si je me lève avec une boule de stress en ayant la crainte de ne pas y arriver, je vais faire de mon mieux… » Hum…

En réalité, TOUT ne va pas mal lorsque nous nous attardons à nos différentes sphères de vie. Si, dans mon cas, un surmenage récent au niveau professionnel m’a généré du stress, mes amis ont représenté un refuge ressourçant. Ma psy prône justement le « positivisme réaliste », qui mise sur l’acceptation des épreuves afin de trouver des solutions et regagner un sentiment de contrôle. Le lâcher-prise impliquerait par ailleurs non pas la résignation, mais de lâcher sa prise pour la reprendre ailleurs.

Lorsque je me suis intéressée à la psychologie positive, j’entretenais la fausse croyance qu’il s’agissait d’une approche visant à voire que le positif, tomber dans une potion magique mielleuse et rose bonbon nous forçant à sourire en permanence. Loin d’occulter les émotions négatives, la psychologie positive pourrait plutôt se résumer en la science du bonheur, visant à documenter les facteurs favorisant un état de bien-être.

Shawn Achor, un auteur américain et conférencier connu pour son plaidoyer en faveur de la psychologie positive, arrive à la conclusion que 90% du bonheur serait influencé par notre façon de percevoir ce qui nous arrive plutôt que nos conditions d’existence.

Similairement, des études dans le champ de la psychologie positive concluent que notre aptitude au bonheur serait grosso-modo constitué de :

  • 50% de capital génétique
  • 10% des conditions d’existence
  • 40% de nos habitudes ou nos activités

Je serais curieuse de connaître la composition des échantillons des études qui aboutissent à ces constats. Permettez-moi un regard critique : si nous questionnions les individus pour qui la pandémie a eu de lourdes conséquences sur leur bien-être tel qu’évoquées précédemment, je parierais que leurs conditions d’existence compteraient pour plus que 10% de leur niveau de bonheur! Le risque avec ce genre de résultats est de minimiser les impacts des inégalités sociales sur la santé mentale et de ramener le tout à une responsabilité uniquement individuelle plutôt que collective.  

Bon… Si nous oublions cette histoire de pourcentages (qui m’agace profondément en tant que sociologue), retenons toutefois l’idée générale que peu importe les difficultés vécues, c’est le regard que nous portons sur celles-ci qui peut faire toute la différence sur comment elles nous affectent. Ou encore, cela peut même nous amener à faire un sens à notre vécu éprouvant.

J’ai récemment entendu une charmante histoire de l’écrivain Charles Péguy sur cette thématique. Puisque mon cher ami Annibal Barca vous a raconté l’histoire de Sisyphe dans son dernier article (http://territoireslibres.com/2021/01/sisyphe-ou-la-vie-au-service-des-petits-espaces-de-liberte/ ), je me permets également la liberté de vous partager une histoire:

Charles Péguy longeait un chemin en sifflotant, le cœur léger. Il croisa alors un homme au visage durcit par le dur labeur qu’il s’efforçait à accomplir. Charles l’interrogea :

« Bonjour mon brave! Dites-moi, que faîtes-vous exactement? »

« J’accomplie hélas le plus exténuant et le plus ingrat des métiers du monde : je suis casseur de pierres! Me voilà désormais avec des courbatures incessantes et des maux de toutes sortes en raison de ma tâche qui s’apparente à de l’esclavage! » Gémit fort l’ouvrier.

« Vous m’envoyez bien navré de votre situation, mon pauvre homme! » Se contenta de dire Charles, mal à l’aise d’avoir posé la question.

En poursuivant sa route, il croisa un nouvel inconnu, qui s’affairait à marteler le roc d’une massue. Par curiosité, Charles lui demanda s’il était également un casseur de pierres. L’inconnu acquiesça, en ajoutant : « Voyez-vous, il ne s’agit pas du métier le plus facile qui soit, mais au moins, je peux ainsi subvenir aux besoins de ma famille. Je suis donc reconnaissant d’avoir ce boulot. »

C’est intéressant, songea Charles en reprenant ses pas. Il croisa un troisième personnage, qui manifestement, était aussi un casseur de pierres. Charles lui demanda néanmoins ce à quoi il s’affairait. Celui-ci, avec une posture fière, lui expliqua avec enthousiasme: « Moi, Monsieur, je construis une cathédrale! »  

Cette histoire illustre à merveille que le sens ou la perspective que l’on porte aux événements a une influence indéniable sur notre manière d’appréhender l’existence. Un de mes éminents professeurs d’université à qui j’ai raconté ce récit, l’a commenté autrement… Il aurait plutôt souhaité, à l’instar des casseurs de pierre, que soit traîné de force le bourgeois ayant donné l’ordre de construire la cathédrale afin qu’il daigne offrir des conditions de travail dignes à son prolétariat. Mon cher prof nous rappelle que la responsabilité du bien-être n’est pas qu’individuelle, elle est collective.

Toutefois, voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, ou faire sens aux difficultés, ne me semble pas aboutir à ignorer les injustices sociales ou se résigner à celles-ci. C’est plutôt percevoir pleinement la réalité telle qu’elle est et trouver des stratégies pour s’en sortir, ou être heureux malgré tout. Cela peut même insuffler du courage et de la combativité à travers des luttes sociales. Plutôt que de se décourager et baisser les bras, cela permet d’envisager les scénarios possibles afin d’amener des solutions.

Je dirais même qu’ultimement, c’est faire preuve d’humilité envers la vie : faire confiance que les événements positifs ou négatifs font partie d’un grand plan qui nous permet de grandir et d’être accompli. Avec du recul sur les événements négatifs, on se rend souvent compte qu’ils font sens et nous ont permis d’emprunter des voies qui, finalement, furent bénéfiques.

Je me permets une dernière brève histoire pour clore cet article. C’est l’histoire de Sean, un jeune garçon de 13 ans atteint pour la troisième fois d’un cancer en phase terminale. Il s’est torturé les méninges à se poser la question : « pourquoi moi? », jusqu’au jour où il s’est plutôt posé la question « pourquoi PAS moi? ». Il a songé que si la maladie l’assaillait en si jeune âge, cela était possiblement porteur de sens : écrire son expérience et souligner l’importance de profiter au maximum de chaque instant. L’histoire de Sean fut publiée par le coach de vie Martin Latulippe et s’intitule « 10 aiguilles » (https://www.amazon.ca/-/fr/Martin-Latulippe/dp/2896271309 ), car Sean avait peur des aiguilles malgré les innombrables fois où il a dû être piqué au cours de ses hospitalisations.

Sean a fait preuve d’une incroyable et admirable sagesse lors de son court séjour sur Terre! Il a compris et nous a légué le pouvoir presqu’infaillible de l’esprit malgré les adversités.

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